Conventions citoyennes : vers une démocratisation des politiques publiques territoriales ?

Dans le cadre de son master « Concertation & Territoires en Transition » à Sciences Po Rennes, Mattéo Delavaud, chargé de projet concertation au sein de l’agence SCOPIC, a rédigé un rapport d’expertise sur les conventions citoyennes comme instrument de démocratisation des politiques publiques locales. Il restitue ici les grands enseignements. 

Conventions citoyennes – usages et constats

Depuis quelques mois, de nombreuses conventions citoyennes émergent sous l’impulsion de différentes collectivités sur des sujets variés, la plupart du temps pour faire définir, de manière collective, une vision citoyenne du territoire « souhaitable et souhaitée ». Réunissant un nombre variable de citoyen.ne.s tiré.e.s au sort et assurant globalement une représentativité de la sociologie du territoire, les conventions citoyennes ouvrent de nombreux questionnements : pourquoi émergent ces dispositifs ? Quel est l’impact démocratique sur les politiques publiques d’une collectivité ? Quels sont les pistes d’amélioration ? 

Cet article, loin d’être exhaustif, propose ainsi une réflexion sur la démocratisation des politiques publiques au regard de quatre conventions citoyennes : la convention citoyenne menée par Nantes Métropole sur les enseignements de la crise sanitaire, la convention citoyenne pour le climat engagée par la Région Occitanie, la convention citoyenne sur les « risques » pilotée par la ville de Rouen, et enfin la convention citoyenne pour le climat instaurée par Est-Ensemble.  

De la politique publique… à sa mise en œuvre : renforcer le dialogue pour une bifurcation à toutes les échelles et sur tous les pans du quotidien.

Cette lecture nous demande aujourd’hui de pousser plus loin l’imbrication de l’enjeu écologique dans le renforcement démocratique. Au croisement des élu.e.s, agent.e.s, citoyen.ne.s mais aussi aménageurs, promoteurs ou bailleurs, notre métier nous place à un endroit où il est aujourd’hui légitime de repenser notre approche et de se demander : ne devons-nous pas placer les transitions écologiques et sociale sou bien encore la résilience comme cadre de tout objet dialogué ? 

La mobilisation autour de gestes individuels ne peut suffire, notre responsabilité réside dans la construction collective d’une nouvelle trajectoire de société. Chaque projet de territoire est ainsi une opportunité d’accélérer concrètement ce changement structurel. Que ce soit dans la co-construction de feuilles de route stratégiques, dans l’aménagement d’un espace public ou d’une infrastructure, nous pensons essentiel de mettre au dialogue les conditions de réussite d’une redirection écologique et sociale dans nos territoires. 

Les conventions citoyennes pour offrir une réponse à un processus de décomposition démocratique

Récemment mis en lumière lors du cycle électoral, la très forte abstention, en particulier chez les jeunes et les classes populaires, vient témoigner du processus de décomposition actuel de notre système démocratique, analysé par les chercheur.euse.s [1].

En effet, malgré un profond attachement des français.es à la démocratie, la période 2009-2019 est ainsi considérée comme une « décennie noire » pour la confiance dans le politique : selon le baromètre du CEVIPOV, ce sont ainsi les sentiments de lassitude, de méfiance et de morosité qui caractérisent le mieux le rapport des français.es avec leur démocratie[2]. A l’échelle locale, et malgré un niveau de confiance proportionnel au niveau de proximité de l’élu.e avec le/la citoyen.ne – le/ la maire étant le seul acteur récoltant un niveau de confiance supérieur à 50% – les territoires ne sont pas épargnés par la crise démocratique. Les dernières élections municipales ont ainsi été marquées par un très fort taux d’abstention – environ 70% à Rouen et à Nantes – entraînant de fait un déficit de légitimité conséquent pour les récents exécutifs élus.  

De plus, alors que les réformes territoriales ont accru les compétences des collectivités, ces dernières font également face au défi de faire émerger une « citoyenneté locale » : face à l’absence d’élections au suffrage universel direct dans certaines collectivités, cette problématique est devenue un enjeu de gouvernance fort pour des institutions constatant un déficit de légitimité et d’appropriation de leurs politiques publiques. 

Face à cette crise et à la nécessité d’impliquer les citoyen.ne.s, les conventions citoyennes offrent une réponse particulièrement concrète pour associer finement les citoyen.ne.s à la définition de politiques publiques territoriales. En effet, les conventions citoyennes locales, en s’inspirant de nombreux dispositifs délibératifs antérieurs tels que les conférences de consensus, les assemblées citoyennes canadiennes et irlandaises, ou encore la convention citoyenne pour le climat, proposent un cadre méthodologique robuste, garantissant une délibération de qualité, l’indépendance de la démarche et une fine articulation à la décision politique[3]. 

Tout en expérimentant de manière diverse en fonction des besoins locaux, chacune des quatre conventions étudiées respecte ainsi de« grands principes » (mandat de participation clairement défini, mobilisation via tirage au sort, méthodologie par étapes permettant la montée en compétence, remise d’un avis citoyen…), assurant la légitimité démocratique du dispositif.  Conçues pour être également des temps forts dans la vie de la cité, ces instruments délibératifs répondent plus particulièrement à l’enjeux de penser collectivement l’évolution du territoire et d’alimenter une vision politique par l’apport de l’expertise d’usage et des aspirations des citoyen.ne.s, notamment au regard de crises majeures impactant fortement les territoires (changement climatique, Covid-19, accident industriel comme l’explosion de l’usine Lubrizol). 

Une démocratisation effective dans la fabrique des politiques publiques

A ce titre, les conventions citoyennes représentent en premier lieu des temps privilégiés d’écoute du politique vers le territoire. Sans empêcher la formulation de propositions concrètes et techniques, comme notamment à Est Ensemble, les conventions citoyennes invitent des mini-public à établir un diagnostic sensible du territoire à 360°, notamment par des rencontres avec des expert.e.s, et à décrire leur futur « souhaitable » pour définir des aspirations pour demain. Si les conventions ne réinventent pas les politiques publiques, ces exercices démocratiques ont pour intérêt de créer une « boussole » pour la collectivité en inscrivant les priorités citoyennes dans un cadre d’action : en alimentant le cap des politiques publiques de Nantes Métropole, en enrichissant un plan de transformation « vert » en région Occitanie, ou encore en établissant une charte déclinée dans le futur PCAET d’Est-Ensemble. Il faut également noter que les conventions citoyennes participent à légitimer et à réorienter la conduite de l’action publique. A Rouen, l’avis citoyen est ainsi venu confirmer l’orientation des politiques publiques et l’action de la majorité, tout en démontrant l’envie des citoyen.ne.s d’aller au-delà du programme municipal et leur volonté d’accélérer certaines actions. Largement publicisées par les collectivités, ces démarches participatives d’ampleur participent ainsi à la mise en récit des transitions sur un territoire et à l’appropriation des politiques publiques. 

De manière individuelle, les conventions citoyennes participent particulièrement à la politisation des membres du panel. De nombreux.euses citoye.ne.ns témoignent ainsi de leur envie de poursuivre le travail à l’issue de la démarche, de s’engager sur les territoires. Par exemple, à Nantes, 37 citoyen.ne.s sur 80 s’auto-organisent avec la volonté de faire émerger de nouvelles formes de démocratie délibératives et participatives sur le territoire. Ces citoyen.ne.s sont eux/elles-mêmes des relais de ces démarches participatives, et représentent une importante force d’acculturation à ces nouveaux dispositifs en partageant leur expérience à leur entourage. Surtout, cet engagement témoigne de l’appétence des citoyen.ne.s à participer à la vie démocratique de leur territoire, à faire valoir leur expertise d’usage et à remettre la parole citoyenne au centre du jeu politique. 

Des marges d’amélioration à prendre en compte

Cependant, si l’impact démocratique des conventions citoyennes est bien identifié, certaines marges d’amélioration ne peuvent être ignorées. Bien que le tirage au sort soit un instrument de légitimité démocratique indiscutable, les conventions demandent à être bien mieux articulées avec l’ensemble du territoire, notamment au travers de dispositifs de démocratie directe (référendums), dans un souci d’inclusion et d’horizontalité. Sur ce point, la Région Occitanie a ainsi organisé une votation citoyenne pour prioriser certaines interrogations et les points saillants du débat. Soumise à des agendas politiques resserrés, la temporalité des conventions citoyennes reste aussi pour certaine trop courte, condamnant les citoyen.ne.s à rester en surface et pouvant engendrer des frustrations. 

En outre, malgré les rencontres au sein des dispositifs, certains retours citoyens témoignent de l’envie de dialoguer de manière plus étroite avec les élu.e.s et les services. Si l’indépendance exige d’être préservée, l’initiative d’Est Ensemble, qui a fait intervenir les services à mi-chemin du dispositif pour appuyer et réorienter les propositions en fonction du « réalisable », semble intéressante. 

Enfin, malgré des retours argumentés des collectivités vers les citoyens, comme à Nantes Métropole, ces dernières font aussi face à la nécessité de mettre en place un véritable « droit de suite », visant à prolonger le travail. À Rouen, une assemblée citoyenne garante de la mise en œuvre des propositions a ainsi vu le jour afin de suivre les avancées et prolonger le travail, aux côtés des services et expert.e.s, sur les propositions non-retenues par la collectivité. Ce droit de suite, associant les citoyen.ne.s dans la durée, si possible au-delà des mandats, reste encore à inventer. 

Questionner et ouvrir le champ des possibles 

L’émergence des conventions citoyennes amorce ainsi une réflexion sur de nouveaux schémas démocratiques. Si elles ne peuvent, pour le moment, faire « loi », il semble nécessaire de réfléchir aux conditions de leurs institutionnalisation [4] et surtout à poursuivre la réflexion en ouvrant àle champ des possibles. Le nécessaire suivi de la mise en œuvre des propositions invite, par exemple, à penser une rigoureuse méthode  d’évaluation, indépendante de l’action publique, à la suite d’une convention. Tout en veillant à éviter un « effet de mode », qui conduirait à populariser des dispositifs déconnectés de la mise en application réelle des politiques publiques, les collectivités ont un véritable rôle à jouer pour outiller et accompagner les initiatives délibératives et à proposer des espaces de dialogue « en dehors » des moments forts des conventions, notamment par un renforcement de la démocratie de proximité pour permettre aux citoyen.ne.s se saisir des enjeux à l’échelle du lieu de vie. Si elles ne se suffisent à elles-mêmes, la multiplication de ces exercices démocratiques, s’ils sont sincèrement menés, contribue indéniablement à accélérer les changements démocratiques en cours et à transformer la pratique du pouvoir, nécessaires à la conduite des transitions face aux enjeux actuels


Cet article a été rédigé par Mattéo Delavaud, chargé de projet concertation. 

[1] Blondiaux, L. (2021). « De la démocratie en France. En finir avec les faux-semblants », Esprit, vol., no. 4, 87-99. [2] Science Po, CEVIPOF. (2019). « 2009-2019 : la crise de la confiance politique ». [3] Voir Démocratie Ouverte, Grands principes et lignes rouges pour mettre en place une Convention Citoyenne à l’échelle d’un territoire. [4] Blondiaux, L. (2022). « Les conventions citoyennes, un antidote au mal démocratique contemporain ? » Le Monde. 

SCOPIC est une agence conseil en communication et concertation