Faut-il devenir entreprise à mission ?

Le statut d’entreprise à mission a suscité notre curiosité ces derniers mois : nous lui avons même consacré la première de notre émission RADIOSCOPIC Convaincus que les organisations publiques et privées sont de puissants leviers de transformation de la société (nous mêmes avons fait le choix du statut SCOP il y a 15 ans), et parce que nous aimons mettre nos savoir-faire au service d’acteurs et de projets à impact positif (territorial, social et/ou environnemental), nous avons spontanément fouillé le sujet, ses problématiques, ses enjeux et les pistes de réflexion et d’actions qu’il ouvre.  

La loi PACTE : naissance de « l’entreprise à mission ». 

La loi PACTE promulguée le 24 mai dernier donne naissance à « l’entreprise à mission ». L’esprit du texte est d’élargir le champ d’action de l’entreprise. Ainsi, si la notion de lucrativité ne disparaît pas, l’entreprise se donne pour objectif d’y associer une mission d’intérêt général ayant des objectifs sociaux et environnementaux.  

Une brise d’Outre-Atlantique

Le texte de loi retenu s’inscrit dans le mouvement des profit with purpose companies qui a pris son essor aux États-Unis au sortir de la crise de 2007. Quelles soient benefit corporation, social purpose corporation ou public benefit corporation ces variations juridiques ont en commun les caractéristiques suivantes : 

  • l’entreprise se donne une finalité additionnelle au but lucratif, 
  • Cette finalité engage les actionnaires et octroie des devoirs aux dirigeants, 
  • un mécanisme de contrôle et de vérification doit être mis en œuvre. 

Ce mouvement, initié en Californie, vient en réponse aux interrogations des créateurs et dirigeants d’entreprises quant à leur responsabilité personnelle. Ceux qui souhaitent lancer une « entreprise socialement responsable » s’inquiètent en effet des conséquences juridiques que pourraient avoir leurs décisions à vocation sociale ou environnementale. Car en Amérique, des actionnaires, même minoritaires, lorsqu’ils se sentent lésés par une décision ou une action du dirigeant, peuvent engager des poursuites judiciaires contre lui pour faire respecter leurs droits. 

De ce fait, de nombreux entrepreneurs ont dû renoncer à leur projet ou à leurs convictions avant que ce nouveau modèle social ne soit adopté. 

Et la French touch?

Le statut « d’entreprise à mission » découle de ce modèle. Cependant, celui-ci ne s’applique pas forcément au contexte français car il n’y a pas chez nous la même notion de responsabilité des dirigeants. En effet, aucun d’eux n’a jamais été poursuivi pour avoir consacré une partie des ressources de l’entreprise à l’augmentation des salaires, à l’amélioration des conditions de travail ou au mécénat… 

Par ailleurs, aucun cadre normatif n’étant défini dans la loi, les missions d’intérêt général que se donnent les entreprises ne correspondent à aucun référentiel et ne font pas l’objet d’un contrôle externe réglementaire. 

Un tel cadre aurait pourtant permis de limiter le risque de mission washing (+ d’infos)

Ce nouveau statut, qui semble être pour l’instant une coquille en devenir, se définira dès lors que les premiers acteurs s’en empareront. Gageons que ceux qui se lanceront dans l’aventure, s’engageront de manière ambitieuse et authentique, et qu’ils obligeront de facto les autres à se hisser, au minimum, à leur niveau. 

Coup d’œil dans le rétroviseur

Bien avant la création du statut « d’entreprise à mission », des précurseurs, comme Nutriset ou CAMIF ont innové en se dotant d’un objet social étendu. Ce choix s’est fait par la mise en place d’un modèle socio-économique original à finalité humaniste. Par la suite, les fondateurs et les actionnaires ont voulu assurer la pérennité de ce mandat en l’inscrivant dans l’objet social de la société. Ils se sont ainsi donné une mission qui aligne la gestion de l’entreprise sur des valeurs partagées dans une dynamique de projet collectif. 

Plus connue et plus répandue, la RSE (Responsabilité Sociale des Entreprises) a pris place dans bon nombre d’organisations, petites ou grandes. Les questions de la qualité de vie au travail, de la préservation des écosystèmes, de l’engagement sociétal… font désormais partie du quotidien des marques qui s’engagent à être plus responsables et plus engagées. 

Le statut juridique semble dès lors un choix secondaire, car il s’agit avant tout d’engager l’entreprise dans une démarche qui emmènera l’ensemble des parties prenantes, et notamment les salariés, vers un engagement sociétal à impact positif, à la fois au service d’une image de marque et d’une volonté sincère de contribuer à une société meilleure. 

L’entreprise, tectonique de la société

Depuis sa naissance, l’entreprise a pour vocation l’accomplissement d’un projet collectif. Cela lui confère un pouvoir colossal comme en témoignent les profondes transformations que son développement a engendré dans nos sociétés au cours du siècle dernier (progrès technique vs surexploitation des ressources / augmentation du niveau de vie vs accroissement des inégalités). 

L’entreprise possède donc intrinsèquement les forces pour inventer et proposer des solutions d’adaptation aux enjeux sociaux et environnementaux d’ores et déjà à l’œuvre dans le monde. Elle se doit désormais de fédérer les énergies pour interroger ses pratiques et ses modèles. 

En ce sens, la naissance par la loi de « l’entreprise à mission » arrive à point nommé pour encourager les entreprises à explorer de nouvelles pistes. 

Alors la première mission de l’entreprise n’est-elle pas de devenir rebelle ? 

Elle renouerait ainsi avec l’esprit d’aventure et de conquête qui lui a donné sa forme sémantique moderne. Mais comment mener à bien une telle ambition ? 

Pourquoi pas en prônant une cohabitation pacifique entre capital et travail, pour retrouver la vision de long terme nécessaire aux enjeux actuels. La seule rentabilité immédiate des capitaux n’est plus soutenable. L’entreprise nouvelle doit s’inspirer des principes de coopération qui animaient avant-hier les guildes, hier les Associations Ouvrières de Production et que perpétuent désormais les SCOP et d’autres formes sociales alternatives existantes ou à inventer. 

Ou bien pourquoi pas en osant placer la discussion et le débat, loin de toute logorrhée, dans l’entreprise. Car c’est en octroyant à l’individu la possibilité d’exprimer, de partager et de confronter son regard avisé et singulier, que l’entreprise trouvera en son sein le plus fertile des terreaux. À elle ensuite de faire infuser ce trésor individuel dans le collectif comme un capital mutuel et immatériel.

Alors, faut-il devenir une entreprise à mission ? 

La loi PACTE ouvre un champ de recherches et offre l’opportunité d’interroger la raison d’être intrinsèque de l’entreprise avec en point de mire les modifications profondes, en cours et à venir, de notre civilisation. 

C’est un choix libre et éclairé que doivent faire les entreprises, car il s’agit plus pour elles de prendre un engagement que de souscrire à un statut. Si leur démarche est authentique et sincère, elles seront en mesure de se transformer et d’entraîner dans leur sillage les sociétés, et éventuellement, la société. 

Alors, entreprises, votre mission si vous l’acceptez, est de commencer par définir votre engagement sociétal à impact positif. Les modalités d’écriture de celui-ci sont autant d’expériences passionnantes à mener ensemble 😉 

Remerciement particulier à Dominique Chalureau pour ses recherches sur le sujet et la qualité de nos échanges qui ont permis de nourrir cet article ainsi que pour sa chronique dans la première de RADIOSCOPIC

Envie d’écouter ou de réécouter l’émission c’est par ici 👇

Émission animée par Gildas Maquaire, directeur conseil et associé fondateur de SCOPIC 


Cet article a été rédigé par Hélène Drillaud – Directrice conseil en stratégie et communication responsable

SCOPIC est une agence conseil en communication et concertation

Les entreprises à mission – un modèle de gouvernance pour l’innovation – Kevin Levillain (Éditions Vuibert – mai 2017) 

La mission de l’entreprise responsable – principes et normes de gestion – Blanche Segrestin & Kevin Levillain (Presses des Mines – 2018) 

Refonder l’entreprise – Blanche Segrestin & Armand Hatchuel (La république des idées – février 2012) 

La nouvelle alternative – Enquête sur l’ESS- Philippe Frémeaux (Les petits matins / Alternatives Économiques – 2015) 

Nouvelles mythologies économiques – Éloi Laurent (Les liens qui libèrent – 2016) 

L’entreprise de l’Antiquité à nos jours – Michel Drancourt (Presses Universitaires de France – 2ème édition / janvier 2002)